Yoga signifie en sanskrit “lien” ou “union”, l’union entre l’humain et le divin, la réalisation de l’Être suprême en soi, la connaissance du grand Tout, l’éveil à la nature fondamentale de chacun et chacune. Les 4 voies, jnana yoga, bhakti yoga, raja yoga, karma yoga, sont toutes des chemins différents ayant pour but de nous amener à l’éveil. Le yoga est un tout. Et comme dans la nature rien n’existe indépendamment et séparé du reste, de même dans le yoga, il n’y a pas qu’un seul chemin mais plusieurs voies qui s’interpénètrent et se nourrissent mutuellement.
Ces quatre aspects ou quatre voies du yoga se pratiquent en parallèle, car le bhakti (dévotion) sans le jnana (connaissance) peut rapidement prendre la forme de fanatisme, la voie du raja (hatha yoga) sans le bhakti se dessèche et risque de se transformer en exercices automatiques. Le bhakti sans le karma (action) ne peut pas trouver d’expression, comme l’argile qui a besoin que des mains le transforment en amphore. Il n’y a donc pas une voie qui soit meilleure que l’autre, car elles mènent toutes à la même destination, de façon différentes.
Le yoga cherche à unir l’âme individuelle “jivatman” avec la pure conscience “atman” et chacune des ses voies participent à nourrir l’individu sur son chemin, à cultiver son jardin et ouvrir les possibles vers l’infini en soi.
KARMA YOGA OU KARMA MARGA: LA VOIE DE L'ACTION DESINTERESSEE
“Fais de l’action ta préoccupation principale, sans jamais en attendre de bénéfices. Que le bénéfice de l’acte ne soit pas ta motivation, pas plus que la complaisance dans l’inaction.”
La bhagavad-Gita, chant II, verset 47 (traduction de Marc Ballanfat, éditations Flammarion)
La traduction du mot sanskrit “karma” est action.
Toujours dans la Bhagavad-Gita, Krishna dit à Arjuna: “Pour le méditatif, il existe la voie de la connaissance, pour l’actif celle de l’action désintéressée. Personne ne deviendra parfait en renonçant à travailler car personne ne peut se passer de l’action... Accomplis donc chaque action comme une offrande à Dieu, libère-toi de tout attachement aux résultats. C’est ainsi que l’homme atteint l’ultime Vérité grâce au travail, sans se soucier des fruits qu’il en récolte. Le fou oeuvre pour amasser les fruits de son activité. Le sage oeuvre de même, mais sans exiger aucune récompense.”
Le karma yoga est donc relié à l’expérience du lâcher prise, et le lâcher prise est relié à l’abandon de l’ego. Ne pas vouloir, ne rien attendre de ce que l’on fait, amène à des actions justes et faites dans un esprit d’abandon. On pourrait également dire que c’est une manière de s’aligner à l’univers, car l’univers sait toujours mieux que nous ce qui est juste. En ce sens, on peut amener du karma yoga dans toutes pratiques spirituelles, yoga, méditation ou autre ne doivent pas être pratiquée dans un esprit conquérant pour obtenir quelque chose, mais avec humilité et détachement.
Cette voie purifie le coeur et dissout l’ego en invitant le pratiquant à se détacher des fruits de son action. Pour cela, l’esprit se libère de tout attachement et de toute implication émotionnelle aux choses, de manière à ce que le Soi (l'unité en soi) se révèle. On voit souvent le karma yoga comme un service désintéressé, du bénévolat (et cela peut évidemment en faire partie), mais pour le karma yogi, toute action doit être accomplie sans attentes personnelles, avec impartialité et équanimité, un cheminement qui amène à abandonner les chaines, et à atteindre un état de liberté et de conscience supérieure. Devenir l’instrument du divin, être aligné et se laisser guider pour vivre dans la spontanéité, la lumière et la vérité de l’instant présent.
Une grande figure du karma yoga est par exemple Mata Amritanandamayi Devi (Amma) qui est un splendide exemple de l'action désintéressée
JNANA YOGA JNANA MARGA: LA VOIE DE LA CONNAISSANCE
“Jnana” signifie en sanskrit “connaissance” ou “sagesse”. Mais il ne s’agit pas ici de la connaissance comme une simple information, ou comme une étude savante, jnana signifie la connaissance absolue, la sagesse éternelle, la vérité, le chemin vers Soi. C’est la philosophie du Vedanta où chacun examine sa propre nature afin de reconnaître le Soi suprême en soi même et chez autrui
Dans les Upanishad, il est dit qu’il y a trois chemins successifs qui mènent à une telle connaissance
- Svarana: l’écoute
- Manana: la réflexion
- Nididhyasana: l’expérience directe de la méditation
Pour ce type de yoga, il est important de suivre un maître spirituel suffisamment éveillé et ayant fait l’expérience de “nididhyasana”, qui peut transmettre de coeur à coeur. C’est d’ailleurs la présence du maître plus que les mots eux-mêmes qui vont permettre au disciple de s’éveiller à son tour. On trouve de grands maîtres du jnana yoga comme Ramana Maharshi, Jiddu Krishnamurti, Nisagardatta Maharaj, Swami Prajnanpad, ou Jean Klein, Mooji, Adyashanti plus récemment
Cette voie affirme que notre ignorance basée sur l’ego (ahamkara) nous empêche de contempler notre vraie nature. Le jnana yogi cherche alors à sortir de l’ignorance (avidya) et de l’illusion (maya) par l’introspection, le discernement (viveka), l’étude philosophique et le détachement (vairagya). Cette approche de la libération est la voie la plus directe mais la plus difficile du yoga. Le jnana yoga suppose une intense pratique méditative et une réflexion approfondie sur le thème de la réalité, de Soi, ou de la vraie nature de l’être.
Un Jnana yogi n’est pas dépourvu d’outils de raisonnement, de réflexion et d’analyse. Il dispose de quatre moyens ou qualifications requis dans la discipline du jnana yoga :
- Viveka, la discrimination qui est la capacité de discerner le réel de l’irréel ;
- Vairagya, le détachement ou la capacité de se détacher des désirs et des choses du monde ;
- La troisième qualification, Shad-sampat est l’observance des six vertus. Les six vertus sont la tranquillité mentale ou (sama), la maîtrise de soi (dama), la capacité de rester équanime devant les difficultés existentielles (uparati), l’endurance (titiksha), la foi (shraddha) et l’attention juste de l’esprit (samadhana).
- Mumukshutva, le désir intense de se libérer et qui repose sur une forte détermination de se libérer de son ignorance.
En se basant sur la doctrine philosophique de l’Advaïta, la forme la plus répandue de la philosophie du Vedanta, Advaita signifiant littéralement « non deux » et se traduisant le plus souvent par « non- dualité », le Jnana yogi utilise la discrimination (Viveka) pour sortir de l’illusion et de l’ignorance. C’est à cette condition qu’il pourra atteindre un niveau de conscience pour se fondre en Brahman, le Tout. Le principe fondamental de l’Advaita affirme ainsi la non différenciation de l’individualité ou de l’âme individuelle (Jivatman) et de la « Totalité » (Brahman) qui est neutre.
Difficile de parler de Jnana yoga sans parler de Ramana Maharshi (1879-1950). Guru (au sens indien du terme) incontesté du XXème siècle, Ramana Maharshi est un « libéré vivant ». Il est parvenu à s’affranchir de la souffrance par un dévoilement de l’Être profond qui réside en chacun de nous, l’Atman ou Soi, identique au brahman, l’Absolu. L’ego est une illusion d’optique qui nous pousse à penser que nous sommes différents des autres ou de Dieu. Débarrassé de cette illusion, tout n’est qu’ « Un ».
On trouve dans le Tamil Nadu, à Tiruvanamalai, un ashram dédié à Ramana Maharshi, où se trouve son samadhi (tombe sur laquelle on peut se recueillir). Il passa beaucoup de temps dans la montagne sacrée Arunachala (symbole de Shiva) au pied de laquelle a été construit l’ashram. Il est écrit sur un des murs de l’ashram l’expérience consciente de la mort qu’il eut.
A seize ans, l’adolescent futur Ramana Maharshi fut saisi par l’angoisse de la mort. « Il s’allongea à même le sol : Qu’est-ce qui se passe quand on est mort ? Le corps meurt, les pensées aussi… Que reste-t-il, enfin ? Grâce à une concentration intense dont il dira qu’elle dura plusieurs heures sur cette question totalement vitale : Qu’est-ce que la mort ?, il connaitra tout à coup l’illumination qui changera totalement sa vie. »
Son expérience de la mort le conduisit à dire : « La crainte de la mort avait disparu, et pour toujours. L’absorption dans le « Soi » (la Conscience pure) se poursuivit sans interruption. D’autres pensées passaient et disparaissaient, pareilles à diverses notes de musique, mais le « Soi » demeurait comme la note fondamentale, sous-jacente à toutes les autres notes, et se confondant avec elles. » Tout être vivant aspire à un bonheur jamais troublé par la souffrance et chacun éprouve le plus grand bonheur pour lui-même. Qui suis-je ? Je ne suis pas ce corps ( ses organes, ses sens), ni l’état pensant.
Le Monde disparaitra quand le mental , cause de toutes les perceptions et actions sera au repos. En dehors des pensées il n’y a pas de mental, pas d’entité indépendante appelée « monde ». La pensée constitue la nature du mental. Dans le sommeil profond il n’y a ni pensée ni monde. Dans les situation de veille, les pensées ainsi que le monde sont présents. Le mental projette le monde au dehors de lui-même, et le résorbe en lui même. Lorsque le Soi, l’Atman apparait le monde disparait. Ramana Maharshi a vécu dans le silence durant des années comme un ascétique ancré dans des ashrams successifs sur Arunachala, le lieu sacré. Il y restera dans un état de méditation permanente et fut visité par d’innombrables disciples qui venaient chercher son enseignement.
RAJA YOGA OU RAJA MARGA: LA VOIE ROYALE PAR LE YOGA ET PAR LA MEDITATION
C’est la voie qui utilise le corps. On dit dans le tantra que le macrocosme se trouve dans le microcosme, que l'univers se trouve dans le corps. Les asanas (postures) et les pranayamas (exercices respiratoires) du Hatha yoga sont un aspect primordial de cette voie du yoga. La pratique ultime du Raja yoga est cependant la méditation silencieuse, par laquelle les énergies du corps et de l’esprit se transforment et se libèrent petit à petit et naturellement pour laisser la place à l’immensité incommensurable de la conscience.
Cette voie consiste en une approche méthodique de la pratique du yoga et de la méditation visant à purifier et à contrôler les fluctuations du mental pour atteindre la libération (moksha).
Cette approche permet au yogi, en suivant cette pratique avec constance et avec détachement, d’atteindre l’éveil en transcendant le mental et en accédant ainsi à sa véritable nature (atman)
Selon Patanjali “Le yoga est l’arrêt des fluctuations de la pensée.” (Yogasutra de Patanjali)
Le raja yoga se pratiquera avec:
- Les asanas (postures) alliés au souffle pour la purification du corps physique et énergétique
- Le pranayama (pratiques spécifiques du souffle) permettant l’expansion de la force vitale et la purification du corps énergétique et la subtilisation du souffle
- Le pratyahara permettant de calmer et de retourner les sens vers l'intérieur
- Dharana ou la concentration ou fixation des sens sur un objet permettant de contrôler l’esprit
- Dhyana ou la méditation permettant de se relier à sa nature profonde et véritable, amenant la contemplation dans l’absorption
- Samadhi ou l’arrêt de l’illusion de la séparation, permettant de réaliser le Soi
Certaines écoles ajoutes les mudras, les bandhas, les yantras et leur visualisation, les kriyas, les mantras
Si l’on se réfère à Patanjali, on parlera aussi de yama et nyama (morale individuelle et sociale). Mais ce n’est pas ce que l’on trouve dans le hatha yoga tantrique qui s’émancipe de la morale (intellectuelle et réglementaire) pour se relier au coeur et à l’énergie.
Le hatha yoga est donc également relié au tantrisme et au shivaisme, qui s’axe sur deux points essentiels qui sont Shiva et Shakti, conscience et énergie, et la tentative de les réunir en soi, ce qui amène à éliminer toute forme de dualité, de doutes, et permet de faire monter à l’intérieur de l’individu une énergie qui est pure et qui permet d’éveiller le meilleur de ses qualités, de ses potentialités. On connait également le natha yoga, le kundalini yoga, le laya yoga. Il y a plein de formes différentes. Ce sont des yogas qui n’ont pas de rapport avec une quelconque morale comme dans les yogas sutras de Patanjali.
Le raja yoga dans sa version tantrique, est le yoga de l’énergie, de la subtilité, de la conscience du corps dans toute sa dimension organique, permettant de sortir des conditionnements. Le corps est perçu comme un temple sacré permettant, grâce à une pratique inclusive et une alchimie intérieure, de passer de l’être individuel à l’être universel.
Il existe un autre “niveau” de raja yoga, le raja di raja yoga, le yoga du roi des rois, qui est un yoga spontané, où le corps va se mettre en mouvement sans aucune intention de la part de l’individu. Ceci appartient également à la tradition tantrique.
BHAKTI YOGA OU BHAKTI MARGA: LE CHEMIN DE LA DEVOTION
C’est le yoga de l’abandon total et de l’élan du coeur, le désir non pas compulsif qui mène à l’impasse, mais le désir toujours renouvelé et vibrant en lien avec toutes choses.
Bhakti signifie en sanskrit « adoration » ou « dévotion ». Les rishis (sages anciens de l’Inde à l’époque des védas) disent que si toutes les voies du yoga demandent certains efforts, celui qui prend la voie de la bhakti, doit simplement ouvrir son cœur. C'est un état d’esprit, un élan intérieur, l’ouverture sans limite de la foi. En ce sens, on peut retrouver la bhakti dans toutes les traditions spirituelles et particulièrement dans leurs aspects non religieux et plus poétique. La bhakti c'est l'expérience de l'absorption dans le Divin. Le véritable bhakta voit dans toute la création les manifestations multiples et infinies de l'Un, peu importe le support nécessaire à sa manifestation. Pour l'un cela pourra être Krishna, pour un autre Jésus, ou bien encore la Mère Divine, ou Allah, ou Shiva, mais cela pourrait tout aussi bien être une fleur, le ciel, une musique, c’est l’attitude de réceptivité à ce qui est. Il est courant que les bhaktas yogis adore un maître, car à travers cet être et par sa vibration peut être réalisé la totalité de l’union. La simple présence d’un être réalisé peut révéler en l’autre sa propre nature divine et c’est ce qui est merveilleux dans ce type de relation, car de fait, toute relation personnelle s'évanouit alors pour laisser place à l’unité, à ce qui relie tous les êtres au-delà du plan personnel, à la compréhension et à la vision de l’indicible.
La racine du mot sanskrit “bhaj”, signifie aimer, adorer, se relier à des énergies sacrées, partager, s’unir dans l’amour. La bhakti unifie les consciences individuelles (”jivatman” en sanskrit) avec l’univers dans un complet abandon au travers des différentes pratiques.
En Inde, ces pratiques incluent la récitation des noms de dieux (japas), la célébration et les cérémonies rituelles (puja), les chants de dévotion (kirtana), la dévotion pouvant être définie comme le sentiment le plus haut. Ces pratiques sont très diverses et souvent abordées spontanément. Le bhakti yoga n’est pas aussi structuré que d’autres formes de yoga. Toutes les pratiques qui permettent d’ouvrir le coeur et de se relier à l’amour universel font partie du bhakti yoga. On retrouve les textes de base dans les “bhakti sutras” de narada, un des rishis (sage) des temps védiques, le Bhaktimimamsasutra de Shandilya, poète vishnouite, ainsi que dans la Bhagavad Gita.
Le bhakti se pratique souvent à travers la musique, les chants dévotionnels et la récitation de mantras. Le son comme l'énergie la plus subtile est directement relié au centre du cœur en chacun (on peut parler du centre énergétique anahata ou de hridayam le coeur spirituel au sens plus large encore), il l’ouvre et le purifie. Les cercles de chants, kirtan, bhajan, donnent la possibilité d’entrer en méditation dans la communion. Cela amène à un état contemplatif, et à une reliance à la source, à l’être, au coeur spirituel, hridayam.
Par le bhakti yoga, on devient un instrument au service de la vie. Il s’agit de s’incarner pleinement au travers de la vibration, et expérimenter le son dans toute sa dimension jusqu’au plus subtil. Par la répétition des mantras, des bijas (sons qui n’ont aucune signification particulière mais qui porte une énergie particulière), un état méditatif se développe et des énergies particulières et positives sont créées pour bénéficier à celui qui chante et à celui qui écoute également. Par l’exploration de la vibration, par l’écoute du silence, par l’écoute de son intérieur, un lien se crée avec quelque chose de plus grand que soi, une grande joie en découle. On pourrait également dire que la bhakti c’est la transformation de l’amour conditionnel humain à l’immensité de l’amour divin inconditionnel (Agapè). Elle donne du sens à l’incarnation, divinise la matière et place le désir en tant qu’élan du coeur comme une source de manifestation
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